2014 L’année des décors
* Quatre dessus de porte- Italie du Nord-Anonymes début du XVII° siècle
Un dégât des eaux a motivé les propriétaires de cet adorable décor à consulter l’Atelier du Regard pour maintenir sa conservation et rétablir la beauté initiale de ces tableaux.
Installés depuis plusieurs siècles dans une salle chauffée par une cheminée ouverte, leur encrassement était important et masquait à peine de nombreuses restaurations anciennes (essentiellement des retouches à la peinture à l’huile contenant du plomb et devenues visibles car très oxydées). Éternelle bataille du restaurateur avec les matériaux anciens parfois difficilement réversibles !
Dans toutes les zones au climat continental, ce type de demeure n’étant occupée que de façon saisonnière, les variations hygrométriques étant importantes, les tableaux sont conservés dans des conditions très proches des œuvres ornant les églises et présentent de la même façon des zones d’écaillage importantes des peintures: l’humidité provoque des gonflements de toile et des retraits ainsi qu’une disparition de la sous-couche de colle. Le rôle du restaurateur est alors de stopper toute perte supplémentaire et de maintenir la cohésion de ce qui est toujours présent.
Les tableaux ont également des problèmes de champignons, de vernis chanci et sont couverts sur certains bords d’éclat de peinture en bâtiment blanche.
L’intervention a duré six mois (restauration en atelier après déposition du décor). Merci aux propriétaires pour leur confiance renouvelée.
* Sept panneaux décoratifs provenant de la chambre de la Marquise de Barbentane- Émile Bussière 1923
Le second décor achevé cette année à l’Atelier du Regard provient du château de Saint-Jean-le-Priche (71), plus exactement de la chambre de la Marquise et se présente sous la forme de sept panneaux de 188 cm de haut et de largeurs différentes; il a été réalisé à la demande de la Marquise par Émile Bussière (1865-1944) en 1923.
L’entreprise de décoration fondée par Victor Bussière à la fin du XIX° siècle a perduré à Mâcon après son décès en 1905 grâce au talent de ses fils Gaston et Émile, dans un contexte d’esthétique ornementale marqué par le souvenir de l’invention du papier peint décoratif « panoramique » par Joseph Dufour. On leur doit de nombreuses décorations monumentales locales: plafonds et murs de la salle du conseil de la Mairie de Mâcon, chapelles dans l’église St Pierre, la cathédrale, le théâtre et décors conservés au Musée des Ursulines (à ce propos, consulter le précieux et passionnant catalogue de l’exposition du musée sur « Les peintres décorateurs du mâconnais au XIX° siècle »). Les trois Bussière ont régulièrement participé au Salon de peinture de Lyon.
Émile Bussière a également côtoyé cette autre grande figure locale , le peintre Claude Honoré Hugrel (décédé comme lui en 1944). La comparaison s’impose avec l’œuvre de ce dernier « crépuscule mâconnais », restauré à l’Atelier du Regard en 2007 (voir le blog 2007) même type de toile et de châssis, mêmes encrassements et même teinte du vernis devenue totalement jaune et surtout, au bout du travail, la redécouverte d’une même palette chez les deux artistes, celle du début des années 20.
Émile Bussière, Mâcon, 1923: Vue sur la Saône du Parc du Château de Saint Jean avec l’ile: Avant décrassage-avant allègement du vernis et après restauration complète.
Les oeuvres sont parvenues roulées à l’Atelier après avoir été déposées pour leur sauvegarde, le décor réalisé à même le mur du plafond du vestibule du château par Émile Bussière en 1891 ayant été repeint en blanc à la vente du château, il a de fait totalement disparu.
Ces décors avaient entre-temps séjourné dans une maison en région parisienne; l’un des panneaux se vit découpé pour être adapté sur une porte de cuisine (un trou étant réalisé à l’usage de la clanche). Tous avaient souffert de perte de matière picturale suite à leur stockage enroulé, plusieurs, faits souvent de deux lais, tenaient par de faibles moyens et réclamaient clairement la remise sous tension sur châssis à clefs, devenant des tableaux de chevalet après avoir été enchâssés dans les boiseries de la chambre de la Marquise.
Celle-ci apparaît dans un repentir sous une couche pas assez épaisse pour la recouvrir totalement: cet aimable clin d’œil à la commanditaire de ce tableau se retrouve par touches dans les panneaux: ici un panier, des gants, une écharpe, un chapeau…et la barque près d’un kiosque est belle et bien celle du marquis !
Émile Bussière a inventé pour la Marquise un décor de jardins éternellement fleuris de roses, une promenade automnale dans le parc, un véritable jardin intérieur.
Actualités 2014
* Thorald Laessoe: un peintre danois à l’Atelier du Regard
Il y a un an, le (sublime!) musée La Piscine à Roubaix présentait une rare exposition consacrée à l’école de peinture danoise; permettant au public de découvrir cette école peu connue et peu abordée, y compris à l’École du Louvre, dans son enseignement général. C’est avec le plus complet ravissement que l’Atelier a reçu quelques mois plus tard une œuvre de Thorald Laessoe (1816-1878) d’assez grand format (les danois semblaient beaucoup affectionner les petits tableaux intimistes).
Après quelques recherches, il semblerait que le château qui figure sur ce tableau représenterait le Domaine d’Egeskov sur l’île de Fionie au Danemark. Il a été crée à partir de 1554; il a en partie un aspect défensif parce qu’il a été réalisé en des temps d’instabilité politique et religieuse. Il est très visité depuis 1989, année de l’ouverture des pièces intérieures au public. La chaîne de télévision CNN Travel lui a décerné la place de douzième jardin le plus spectaculaire au monde. Mais surtout, quand on regarde de plus près, on découvre plusieurs minuscules couples dans le tableau (un presque effacé sous le vernis jaune au balcon, un autre dans une barque…) et il se trouve que ce Château sert de réception pour les lunes de miel des riches mariés de Copenhague depuis environs le 16° siècle et sert toujours actuellement puisque certaines salles du château sont louées pour des mariages…on peut facilement imaginer que ce grand format est une commande d’un particulier en cadeau nuptial, afin de garder le souvenir d’un mariage !
Autre bonne surprise de ce bichonnage (le tableau nécessitait surtout un allègement du vernis oxydé très jaune) c’est la découverte d’une date gravée dans la masse lors de l’allègement du vernis : 1841 ! Elle était très peu visible sous l’épais vernis miel et l’est désormais de nouveau sous le fin vernis Regalrez…et on sait maintenant que le peintre a réalisé ce tableau à l’âge de vingt-cinq ans !
* Journées du Patrimoine 2014 à St Martin Belle-Roche (71) avec l’Association Saint Martin Belles Pierres au Vieux Château
Un merveilleux week-end grâce à cette association très dynamique et très accueillante: un grand merci à M et Mme Cortier ainsi qu’à M et Mme Cotessa et à tous les artistes qui ont exposé et qui ont rendu ce moment si magique !
* Stage de Stéphanie Rey, élève de cinquième année de l’Ecole de Condé (Lyon-Paris).
Après Charlotte Franier en 2011 (alors élève de troisième année et diplômée depuis-félicitations !), l’Atelier du Regard a accueilli cette année une élève de cinquième année, Stéphanie Rey pour un stage de dernière année d’une durée de trois mois.
L’idée étant d’explorer toutes les facettes du métier, Stéphanie a participé à la restauration du support des derniers panneaux du décor d’Émile Bussière (voir page 2-2014) ce qui l’a familiarisée avec de plus grands formats que ceux qu’elle avait étudié via l’école de Condé, et un client a aimablement accepté de lui confier une œuvre de famille.
* Portrait dit de « Gisèle »
Cette douce inconnue baptisée « Gisèle » dans le cadre de l’organisation d’une vente de tableaux comportant de nombreux portraits anonymes (!) a retrouvé les couleurs de la vie, sa robe noire à dentelle et plumetis se lit nettement mieux et le fond est passé d’un gris fumoir à un bleuté en accord parfait avec son regard…
Restauration du cadre: Frederic Nicol, Atelier Restaur’art, Lyon 69002